Vidéaste

Après le Bac, déjà animé par le goût du cinéma, mais désireux de poursuivre des études théoriques, je suis allé en classe prépa littéraire avec option cinéma, au Lycée de Sèvres. L’option permettait de s’initier aux grands enjeux théoriques des études cinématographiques, tout en expérimentant très succinctement la création d’un film : en petit groupe, nous devions écrire, réaliser et monter un petit court métrage de fiction sur un thème donné, avec du matériel assez simple.

J’ai ensuite intégré l’ENS de Lyon, où s’ouvrait un département des Arts avec une section d’études cinématographiques. Là, et à l’université Lyon II, j’ai pris le goût de l’écriture théorique et critique sur le cinéma, et de la pensée des images en général. Cette inclination m’a poursuivi jusqu’à l’écriture d’une thèse sur « le partage de la douleur dans le cinéma contemporain » que j’ai soutenu en novembre 2016. Mais l’école m’a aussi donné le goût de l’écriture cinématographique, lors d’un premier projet personnel encadré par l’atelier vidéo que dirigeait alors le cinéaste expérimental Éric Pellet. Le film qui en est sorti était encore précaire, maladroit, faute d’expérience, mais m’a permis d’entrevoir qu’il serait bientôt possible, dans des champs différents que celui de la fiction classique, de produire des projets aboutis sans beaucoup de matériel, pour peu qu’ils aient la modestie de cette précarité de moyens.

C’est avec cette conviction qu’il ne fallait pas rivaliser avec la fiction, art cher, mais expérimenter autre chose, que j’ai commencé à réaliser une petite série de bandes-vidéos autour des images de télévision, que je récupérais sur Internet ou que je filmais directement sur mon téléviseur. C’est ce petit travail personnel qui m’a permis d’entrer à l’école des Beaux-Arts de Paris, par équivalence, en deuxième année. J’y ai poursuivi mon travail artistique en parallèle de l’écriture de ma thèse et de charges d’enseignement, en divisant mes années en moments différenciés : un temps pour l’écriture théorique, un temps pour l’expérimentation plastique, sans lien évident, du moins conscient pour moi, entre les deux. La forme de lucidité aigüe que demande le travail de recherche m’a toujours paru difficilement compatible avec l’élan secret, un peu silencieux, qui m’amène à créer des formes.

Les Beaux-Arts proposent une formation technique pour la vidéo assez complète, avec un Pôle numérique où des enseignant·es nous forment aux fondements de la pratique (filmer, prendre le son, monter) et font venir des intervenant·es pour des aspects plus spécifiques (lumière en studio, effets spéciaux…). J’ai appris là-bas à penser mes vidéos pour l’exposition, en vue des diplômes de premier et deuxième cycle. J’ai alors commencé à pratiquer l’installation vidéo, à penser des pièces avec plusieurs projections, avec parfois des supports spécifiques (papier, tissu, métal), même si c’est toujours d’un désir d’images, de fiction que naît mon travail. J’envisage mes installations vidéos comme de petits dispositifs narratifs et visuels qui jouent d’une émotion cinématographique (la projection, le montage entre les images, la fiction) dans une forme plus ouverte et plus expérimentale que la projection en salle de cinéma.

Peut-être un jour cela m’emmènera à tourner un film de cinéma, pour peu que j’arrive à y trouver cette même liberté — je pense qu’une école comme le Studio National des Arts du Fresnoy pourrait être le lieu pour trouver cette liberté avant d’affronter l’économie plus rigide du cinéma. Cette année, j’y ai monté pendant plusieurs semaines le film d’une amie, Los Diablos azules de Charlotte Bayer-Broc, que j’avais rencontrée en hypokhâgne avant de tenter avec elle le concours des Beaux-Arts. L’accompagnement artistique d’un grand cinéaste (João Pedro Rodrigues, dont nous admirions beaucoup le travail, et sur lequel ma thèse porte en partie…), les moyens techniques mis à disposition des étudiant·es et l’ouverture de l’équipe pédagogique aux formes les plus innovantes me laissent penser que ce serait le lieu adéquat pour moi pour tourner un premier film. Pour l’instant, je me considère comme vidéaste, c’est-à-dire comme artiste plasticien ayant comme matière les images en mouvement. C’est un travail plus solitaire que celui de cinéaste, très différent économiquement aussi : on dépend des institutions de l’art (musées, galeries, salons d’art contemporain…) plutôt que des producteur·rices de cinéma.

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Témoignage publié dans le guide des formations 2016.