Anaïs Dombret et Sylvain Pioutaz

à propos de leur interactif Les Naufragés

Nous nous connaissons avec Anaïs depuis le collège. Elle a étudié la photographie. Je n’ai pas fait d’études universitaires mais des stages en production, puis j’ai réalisé des making of de longs métrages et des courts métrages de fiction qui ont circulé en festivals : Demain la veille en 2006, La nuit revient en 2008, À la longue en 2011 et Victor irait bien à Berlin, en 2014.

Nous avions réalisé un premier webdoc en 2009 sur le Burkina Faso, Mon Faso, grâce à une bourse Défi Jeunes (supprimée depuis) et une autre du Crous, puis un second en 2012, sur les élections présidentielles en France, intitulé Pourquoi t’y crois ?, avec des jeunes militant·es que nous avons suivi en campagne. Nous n’avons pas eu d’aide pour ce projet, sauf une campagne participative sur kisskissbankbank qui a rapporté 2 000 € ou 3 000 €, ce qui nous a permis de payer un développeur et un graphiste. Le webdoc a été finaliste du Prix RFI / France 24 du Meilleur webdoc en 2012.

L’idée de faire un travail sur les migrations remonte au mois d’avril 2009, avec la lecture d’un article du journal Le Monde relatant l’histoire de cent-cinquante-quatre migrant·es bloqué·es en mer pendant trois jours car Malte et l’Italie refusaient de les accueillir sur leur territoire. Nous avons voulu en savoir plus, et c’est ainsi qu’a commencé notre travail de recherche. Au-delà des terribles histoires de naufrages et de passeur·ses qui font l’actualité, c’est avant tout la gestion de ces migrant·es par les autorités européennes qui nous a interrogé.

Nous avons réfléchi à un projet qui serait immersif et qui plongerait le/la spectateur·rice au cœur des histoires de ces hommes et de ces femmes qui traversent la Méditerranée. C’est cette volonté de changer l’échelle de point de vue sur ces histoires connues qui est le point de départ de l’écriture des Naufragés. Nous avons décidé d’intégrer de la fiction, à la fois parce que la dimension épique est présente dans les récits des migrant·es et parce que trop souvent, les webdocs négligent cette dimension, laissant peu de place aux vies des personnages et à l’empathie du/de la spectateur·rice.

Le fil conducteur des Naufragés est linéaire et suit l’épopée des personnages principaux, de leur départ à leur arrivée. Cette partie s’inspire de récits recueillis auprès de migrant·es mais elle est jouée par des comédien·nes et dialoguée. Pour nous aider à intégrer cette matière à la dramaturgie de notre histoire, nous avons travaillé avec un scénariste, Camille Guichard. Le récit est donc imposé par les auteur·rices mais l’internaute peut l’alimenter comme il/elle le souhaite : découvrir les histoires de chaque personnage, jouer avec une carte interactive pour comprendre les mécanismes européens, accéder à des graphiques et des chiffres, lire un article de presse qui a inspiré tel ou tel récit ou encore mettre en regard le discours d’un dirigeant de Frontex et celui d’un militant de l’association Frontexit.

Les Naufragés confronte d’un côté la vision des migrant·es cherchant à prendre en mains leur destin en essayant de rejoindre l’Europe, et de l’autre la vision bureaucratique et technocratique de l’Union Européenne qui traite des milliers de cas similaires. La partie fictionnelle est tournée avec une approche très réaliste, presque brutale, à l’épaule, au plus près des personnages et de leurs émotions. La partie documentaire prend le contrepied des épisodes fictionnels : froideur des bureaux des organisations internationales, travellings dans les couloirs du HCR, interviews formels et analytiques des représentants officiels.

Nous avons obtenu en 2013 une bourse à l’écriture de la Région Ile de France, d’un montant de 15 000 €. Pour solliciter cette aide, nous devions présenter la demande avec une structure en Ile-de-France qui nous accueillerait en résidence, en contrepartie d’un travail en direction du public. Nous avons contacté la FASTI (Fédération des Associations de Soutien aux Travailleur·ses Immigré·es), qui a très bien reçu le projet et nous a mis en contact avec de nombreux·ses migrant·es dont nous avons recueillis les récits. Nous avons également assisté à des conférences en France et en Tunisie, organisé une table ronde autour du langage des médias sur les migrations et rencontré de nombreux·ses interlocuteur·rices du monde associatif et des ONG.

Nous avons obtenu en 2015 la Bourse Orange / Formats innovants de la Fondation Beaumarchais - SACD. Cette bourse, d’un montant de 7 500 €, est assortie d’un programme de rencontres avec des professionnel·les des nouvelles écritures à l’occasion de différentes manifestations en France. Nous avons rencontré ainsi l’équipe de Pictanovo durant le salon du Livre numérique, nous sommes allé·es à Futur en Seine, le festival du numérique en Ile-de-France ; nous serons à Marseille en octobre et à Lyon en décembre. Cette bourse est aussi l’occasion d’échanger avec les autres lauréat·es sur nos travaux respectifs, ce qui est très utile pour comprendre la manière dont le projet est perçu à ce stade.

Le choix du transmédia permet de travailler dans une grande liberté, en mélangeant vidéo, son et photo, sans contrainte de format ni de durée, mais paradoxalement, les producteur·rices de transmédia semblent moins frileux·ses que beaucoup d’auteur·rices, parce qu’ils/elles cherchent l’innovation et l’optimisation des potentialités techniques. Nous sommes pour l’instant encore à la recherche d’un·e producteur·rice orienté·e vers les nouvelles écritures pour développer cette partie du projet, qui est encore en chantier.

Pour notre prochain projet en commun, nous souhaiterions travailler sur un sujet moins grave. En attendant, j’ai obtenu une aide à l’écriture pour mon premier long métrage de fiction, qui sera une comédie, et Anaïs va peut-être retourner au Burkina Faso pour couvrir l’élection présidentielle.


Témoignage publié dans le Guide des Aides 2015.