Nelson Ghrénassia

producteur (Yukunkun Productions)
À PROPOS Du FILM de Josza Anjembe, Le Bleu blanc rouge de mes cheveux (2016, 21’ – Yukunkun Productions)

Après un passage aux Beaux-Arts en Architecture, j’ai fait l’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris en préparant en parallèle un Master Art du spectacle à la Sorbonne, puis j’ai créé en 2010, avec Gabriel Festoc, Yukunkun Productions. Nous avions envie de travailler ensemble et de nous lancer dans des expériences collectives mais nous n’y connaissions pas grand chose. J’ai fait alors un master professionnel « Cinéma, télévision, et nouveaux médias » à l’université Paris 1 qui m’a permis de gagner en savoir-faire et surtout en légitimité.

En sept ans, nous avons produit une vingtaine de courts métrages de fiction. La plupart ont été diffusés à la télévision et/ou ont circulé dans les festivals. Actuellement, on développe trois longs métrages d’auteur·rices-réalisateur·rices qui ont fait leurs courts avec nous. On a la chance d’avoir des partenaires qui nous suivent régulièrement, notamment des chaînes comme Canal+ et France TV, et de pouvoir bénéficier de l’Aide au programme du CNC. Cela dit, les chaînes n’achètent pas tout ce que nous leurs proposons, et dans un sens, c’est heureux, car cela veut aussi dire que nous produisons des films qui ne se ressemblent pas.

Le Bleu blanc rouge de mes cheveux est le portrait d’une jeune fille née en France de parents camerounais et qui, à sa majorité, décide de prendre la nationalité française, mais son père s’y oppose. J’ai rencontré la réalisatrice, Josza Anjembe, par l’intermédiaire d’une connaissance commune qui était lectrice de scénarios et qui l’avait connue lors d’un stage d’écriture. On s’est vu, j’ai lu son projet, ça m’a plu et on a décidé de faire le film ensemble. Dans la foulée, Josza a participé à Talents en court, une opération mise en place par le CNC, qui propose des séances de pitchs dans plusieurs festivals tout au long de l’année. Ce dispositif permet de découvrir et de donner une chance à des jeunes cinéastes qui ne sortent pas forcément d’une école de cinéma et qui sont souvent issu·es de quartiers populaires.

On a retravaillé le scénario ensemble. Au départ, Josza pensait à une famille sénégalaise, mais on s’est rendu compte que les Sénégalais·es en France pouvaient avoir la double nationalité et que la question d’en choisir une ne se posait pas forcément pour eux/elles. Josza a alors décidé que la famille serait camerounaise. Cette phase de réécriture est une étape importante et nécessaire dans la relation auteur·rice-producteur·rice.

Après la bourse Talents en Court obtenue à Clermont-Ferrand, le premier financement a été l’aide à la production de la région Bretagne. Travailler avec les financements d’une Région implique généralement de tourner dans celle-ci et d’y dépenser au moins 100% de la subvention reçue, en salaires, location de matériel et de décor, etc. Cette aide a permis aussi à Josza de participer au Groupe Ouest pour l’écriture de son nouveau projet. J’ai produit deux films en Bretagne et je suis en train d’en faire un troisième. C’est une région particulièrement dynamique pour le cinéma, il y a beaucoup de festivals et aussi un catalogue de films réalisés en Bretagne qui tourne bien, notamment dans le réseau des médiathèques.

Ensuite, nous avons obtenu un pré-achat de France Télévisions ainsi qu’une aide du Fonds Images de la diversité du CNC et de la Procirep, puis le soutien de l’Adami pour les comédien·nes et de la Sacem pour la musique. Le financement total du film se situe aux alentours de 110 000 €, ce qui est un très bon budget pour un court métrage d’une facture assez classique, mais il y avait tout de même beaucoup d’acteur·rices, de décors et de trajets. Ce financement confortable nous a permis de payer tout le monde correctement et aussi de prendre notre temps en post-production et d’assurer la promotion du film à sa sortie.

Il est important pendant la période de développement, qui dure généralement entre six et neuf mois, de ne pas brimer le/la réalisateur·rice et de le/la laisser imaginer ce qu’il/elle veut en termes d’équipe, de technique utilisée, de décor. Ensuite, en fonction des subventions qu’on a réussi à obtenir, on se dit : « Voilà, est-ce qu’on peut faire le film maintenant ou pas ? Et de quelle façon ? »

Le tournage a duré une semaine et s’est déroulé en septembre 2016. On a repris le preneur de son et d’autres collaborateur·rices breton·nes avec lesquel·les j’avais travaillé un an plus tôt et Josza a rencontré plusieurs chef·fes-opérateur·rices avant de choisir Noé Bach. C’est ce dernier qui l’a ensuite présenté à la monteuse.

Le montage s’est fait presque dans la foulée, pendant trois semaines. Au bout d’une semaine, j’ai demandé à voir une continuité car cela permet, même si les séquences sont simplement posées dans l’ordre du scénario, de voir quel film est réellement en train de se concrétiser, puis j’ai vu cinq ou six versions jusqu’à la fin du montage. Josza, dont c’est la première fiction, vient du documentaire et elle avait demandé dès le début de notre collaboration de pouvoir prendre du temps au montage, de ne pas avoir à se précipiter. Mais au final, le travail de montage a été très fluide et le film était « là » au premier bout à bout.

Pour la musique, j’ai emmené Josza au Festival International du Film d’Aubagne où sont organisées chaque année des rencontres entre des réalisateur·rices, des producteur·rices et des compositeur·rices. Josza a choisi Jan Vysocky et la Sacem nous a accordé ensuite une bourse pour la création de la musique.

Le succès du film est aujourd’hui au-delà de nos espérances. Le Bleu blanc rouge de mes cheveux a dépassé les cent vingt sélections en festivals et il est pré-sélectionné pour les Césars. C’est une chance pour Yukunkun bien sûr, mais aussi pour la réalisatrice, à qui cela permettra, je l’espère, de faire son prochain film dans d’aussi bonnes conditions.

Pour se lancer dans le cinéma, avoir fait une école de cinéma est un avantage certain, ne serait-ce que pour se constituer un réseau de connaissances, mais il existe pas mal d’accompagnements possibles aujourd’hui : des lieux pour « pitcher » son projet, des résidences d’écriture, des festivals où montrer ses œuvres, etc. L’important est d’avoir un bon scénario et une note d’intention claire, afin que l’on comprenne la démarche de l’auteur·rice et son univers. Mais il faut aussi savoir transmettre son désir aux partenaires : au/à la producteur·rice, aux financeurs et bien sûr à l’équipe et aux comédien·nes. C’est peut-être ce qui me plait le plus dans mon travail: accompagner des auteur·rices comme Josza, des personnes dont j’ai l’intuition, même si c’est leur premier film, qu’elles auront « les épaules » pour porter cette aventure. C’est pour cette raison que je fais ce métier, pour éprouver ce risque-là.

(Témoignage publié dans l’édition 2017 du Guide des Aides)