Laurent Larivière

À PROPOS DE SON FILM JE SUIS UN SOLDAT (2015, 97’ – Mon Voisin production, Saga Film)

Je suis arrivé à Paris à dix-huit ans avec un très fort désir de faire du cinéma, mais avec une grande peur aussi. Je ne connaissais personne dans le milieu. Je suis allé travailler au théâtre où j’ai été assistant à la mise en scène pendant plusieurs années.

En parallèle, j’écrivais des courts métrages, dont le deuxième, intitulé J’ai pris la foudre, a obtenu en 2003 le Premier Prix du Concours de scénario du Département de l’Eure. C’est un Prix en deux parties, avec un atelier de réécriture au CECI – le Centre des Écritures Cinématographiques du Moulin d’Andé, et une dotation qui était alors de 12 500 €, pour la production du film. À l’époque où j’ai reçu ce Prix, j’avais passé la trentaine, je travaillais dans un restaurant et je commençais vraiment à désespérer de pouvoir faire un jour du cinéma. C’est dire combien ce Prix était providentiel. Au Moulin d’Andé, j’ai trouvé un espace de travail et de rencontres très précieux. Les professionnel·les qui m’ont accompagné n’avaient pas une version stéréotypée de ce que doit être un « bon » scénario, comme on en trouve souvent dans la production. Nous étions six auteur·rices et ils/elles s’efforçaient vraiment d’aider chacun·e à trouver le meilleur moyen cinématographique de transmettre ses idées.

J’ai pris la foudre a été tourné trois ans plus tard, dans un quartier d’Évreux. Le film est allé au festival de Belfort et a eu le Grand Prix au festival de Villeurbanne. J’ai obtenu également le Prix Qualité du CNC, le film a été diffusé sur TV5Monde et a fait l’objet d’une édition DVD à destination de jeunes pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse.

En 2009, j’ai réalisé deux autres courts, Au Bout des branches, avec un préachat de France 3, et Les Larmes, qui a été sélectionné au Festival Hors Pistes au Centre Pompidou, au FID Marseille et à Côté Court à Pantin, puis diffusé sur France 2. Les Larmes est un film aux frontières de la fiction, du documentaire et de l’essai, à partir d’un texte de l’écrivain Olivia Rosenthal sur Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Durant ces années d’apprentissage, j’ai cherché à me confronter à des formes cinématographiques très différentes. N’ayant pas fait d’école, le court métrage a été un formidable espace d’expérimentation. En 2010, j’ai fait un autre court métrage, Les Élus de la terre, avec une aide au programme du CNC, puis en 2014 Tous les adultes ne sont pas méchants, qui a été sélectionné à Côté Court dans la catégorie Expérimental, Essai, Art vidéo.

Durant cette période, j’ai continué à travailler pour le théâtre et à présenter des performances, notamment pour un spectacle mêlant théâtre et vidéo, Eldorado dit le policier, projet pour lequel j’ai été lauréat de la Villa Médicis Hors les Murs et qui a été présenté au CND d’Orléans puis à la Grande Halle de la Villette en 2011.

En 2012, j’ai obtenu avec François Decodts, mon co-scénariste, une aide à l’écriture du CNC pour mon premier long métrage, Je suis un soldat. J’ai le sentiment que c’est l’écriture et la réalisation de ces six courts qui m’a permis d’arriver au long. Nous avons écrit ce scénario en trois mois, donc dans un temps très court, pour être vraiment dans l’écriture d’un geste, d’une énergie. François Decodts est un ami de longue date. Il avait écrit un très beau scénario avec le réalisateur Jean-Jacques Jauffret. Nous avons une vision du cinéma très proche et un rapport de confiance, ce qui est essentiel dans une co-écriture. Juste avant d’obtenir l’aide, nous avions échoué avec un précédent projet, mais cette expérience nous avait permis de trouver une écriture commune.

Pour l’écriture de Je suis un soldat, nous sommes partis du sentiment de honte sociale : qu’est-ce que ça signifie d’avoir trente ans et de devoir retourner vivre chez sa mère parce qu’on n’a pas réussi à inventer sa vie ailleurs ? Comment regarder les autres poser un nouveau regard sur soi ? Ça me semblait être une question de cinéma… L’héroïne, Sandrine, se retrouve chez sa mère à Roubaix. Sans emploi, elle travaille chez son oncle, dans un chenil qui s’avère être la plaque tournante d’un trafic de chiens venus des pays de l’Est. Le film commence comme un film social avant de dériver vers le thriller. Au fur et à mesure de l’écriture, le trafic de chiens est devenu, presque malgré nous, un théâtre de la cruauté contemporaine.

En fin d’écriture, je me suis rendu compte que le film traitait aussi du besoin de reconnaissance. Sandrine n’a pas de place réelle ni dans sa famille, ni dans le monde. Elle ne sait accéder à son propre désir, elle répond sans cesse à ceux des autres. Je suis un soldat montre sa petite révolution, son accession à son identité. Le scénario, puis le film, se sont construit par strates : d’une question large, sociale, nous sommes arrivés à une question intime, qui j’espère contient la première.

J’ai également travaillé sur le scénario aux Ateliers du festival Premiers plans à Angers. Ce fut une expérience très enrichissante. Pendant une semaine, nous étions six réalisateur·rices européen·nes, dont trois français·es, réuni·es autour d’une table et on échangeait des avis sur nos scénarios respectifs. Nous avons eu des retours d’Anne-Louise Trividic, la scénariste de Chéreau, et de François Gédigier, le monteur de Lars Von Trier, de De Palma et Desplechin. Chacun pointait des faiblesses à des endroits très différents. Nous avons eu la chance aussi de rencontrer Răzvan Rădulescu, scénariste et réalisateur roumain, qui avait participé à l’écriture de 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Il a mis des mots sur des choses que je pressentais mais que je n’arrivais pas à formuler, sur ce que racontait le film, au-delà du récit. Écrire un scénario, c’est construire un récit fluide et limpide, mais le sens profond du film doit rester invisible, en sous-texte, être perçu sans être vu, pour éviter l’écueil de l’illustration. C’est par les moyens du cinéma, l’image, la juxtaposition des scènes et des plans, les liens que l’on tisse secrètement entre eux, que l’on arrive à produire du sens dans la tête du/de la spectateur·rice.

Six mois plus tard, nous avons rencontré Michel Feller et Dominique Besnehard, de Mon Voisin Productions. Nous avons présenté une nouvelle version à l’Avance sur recettes, que nous avons obtenu au premier tour. L’oral est assez impressionnant : nous avons quinze minutes pour défendre le projet, le producteur présente l’état de la production du film en deux-trois minutes, puis nous devons répondre aux questions sur le scénario et la mise en scène. Jean Labadie, responsable de la société de distribution Le Pacte, faisait partie du jury, il avait beaucoup aimé le scénario et avait envie de prendre le film en distribution. Nous nous sommes ainsi retrouvés en quarante-huit heures à la fois avec l’Avance et avec un bon distributeur, ce qui nous a permis d’aller voir Canal+ en ayant un peu de poids.

Le film se déroule à Roubaix. Dès la première version du scénario, nous avons souhaité que les personnages traversent la frontière, qu’ils nous emmènent ailleurs. La frontière impliquait aussi la notion de danger, lié à la douane volante notamment. Ce type de trafic existe vraiment. Les chiens viennent souvent des pays de l’Est, transitent par la Belgique et sont revendus en France. Dès lors, une coproduction était possible et le producteur a sollicité Hubert Toint, de Saga Film en Belgique, avec lequel il avait déjà collaboré. Cette coproduction nous a permis d’obtenir le fond européen Eurimages. Pour répondre aux exigences de la coproduction franco-belge, il fallait travailler avec des technicien·nes de ce pays. J’ai pu garder le chef opérateur, David Chizallet, ainsi que la première assistante, Alexandra Denni et l’ingénieur du son, Antoine-Basile Mercier, mais tous les autres technicien·nes étaient belges. C’était heureux, j’ai fait de belles rencontres là-bas. La post-production en revanche a eu lieu en France, avec des technicien·nes français·ses : Marie-Pierre Frappier, ma monteuse, Benoît Gargonne et Nicolas D’Halluin, mes monteurs son et mixeur, notamment.

J’ai rencontré Louise Bourgoin, mon actrice principale, lors d’un spectacle de théâtre sur lequel nous avons tous les deux travaillé à la Scène Nationale de La-Roche-sur-Yon. J’étais très touché par sa sensibilité, on a découvert qu’on venait à peu près du même milieu social et qu’on partageait des choses par rapport à notre place de provincial monté à Paris. J’ai écrit le scénario en pensant à elle. Lors du tournage, elle a fait preuve d’une détermination, d’une puissance de jeu, que je ne lui avais jamais vues. Sur le plateau, elle voulait toujours faire une autre prise, faisant des choses extrêmement difficiles physiquement, ne voulant pas être doublée. Elle a vraiment pris des risques. Jean-Hugues Anglade est un acteur que j’admire beaucoup et dont j’ai toujours suivi le parcours. Je l’ai contacté par l’intermédiaire de Dominique Besnehard, dont il est un ami de longue date.

Pour des questions pratiques, on tourne toutes les scènes qui appartiennent à un même décor à la suite. Nous avons commencé par les scènes dans la maison familiale, qui étaient assez difficiles à tourner, avec des scènes de repas et beaucoup de dialogues, et en particulier une scène émotionnellement assez forte, celle du retour de Jean-Hugues Anglade, qui se situe à la fin du film mais que nous avons dû tourner dès le quatrième ou le cinquième jour. Que nous ayons tourné cette scène si tôt dans le parcours du personnage a mis la barre très haut. Il fallait s’y tenir. Il nous fallait construire les différentes étapes de son effondrement maintenant que nous connaissions l’ampleur de sa faille. Dès lors, nous savions que nous pouvions aller loin dans la dureté car nous avions percé à jour son humanité. Et c’est avec cette part-là du personnage que le/la spectateur·rice le quitterait.

Quand la date butoir pour l’envoi des films à Cannes est arrivée, nous étions en fin de montage image et nous avons dû envoyer le film sans montage son, ni étalonnage et mixage, et il a été sélectionné à Un Certain regard. J’ai commencé à écrire un nouveau long métrage. C’est très enthousiasmant, nous sommes à l’affût de voir comment l’expérience de ce premier film a modifié l’écriture.

Témoignage publié dans le Guide des Aides 2015.