Réalisatrice
Chaque manière de faire des films et chaque parcours sont différents. Mon désir de faire du cinéma puise dans une envie viscérale et obscure, qui vient de l’intérieur, d’obsessions et de peurs et je ne pourrais faire des films sans cette base-là. J’ai commencé à nourrir cette passion durant mes études au lycée de Brive, en allant tous les jours au cinéma art et essai. J’étais en option lourde Cinéma Audiovisuel (8h par semaine) et les séances étaient gratuites pour nous. La programmation était excellente et variée, et j’ai pu ainsi me confronter aux visions de réalisateur·rices du monde entier, en découvrant des films aussi différents que Le Dernier des fous de Laurent Achard, Lost Highway de David Lynch, ou la passion et le militantisme d’Armand Gatti. À chaque fois, des visions fortes et personnelles du monde.
C’est à l’université que j’ai appris à contenir, structurer et penser cette envie. La recherche m’a appris à cibler mes obsessions. Je pense que la construction de soi est réellement importante dans la création, il faut apprendre à se connaître tout en laissant parler l’instinct. J’ai choisi Paris 7 car il y a aussi des ateliers pratiques. Les cours de licence sont concentrés sur le cinéma américain et il y a un atelier par trimestre. Au début, chaque atelier permet de travailler une technique : le montage, le son, l’image, puis, vers la fin de la licence, les ateliers se centrent sur la réalisation, avec des thèmes à choisir : la disparition, la sensualité, etc. Nous avions également des cours plus théoriques de scénario avec Axelle Ropert par exemple. J’ai ensuite fait un Master Recherche, la première année axée sur le cinéma fantastique de Mario Bava, et la seconde sur le cinéma underground new-yorkais des années quatre-vingts. En première année, le Master était professionnalisant avec un projet de film/exposition encadré par la réalisatrice Noëlle Pujol. Nous avions un an pour réaliser à deux ou trois un film sur le processus de création musicale, qui a été présenté au Bétonsalon, un centre d’art et de recherche installé sur le campus.
En parallèle, j’ai fait des stages très formateurs, dont l’un en programmation aux Rencontres du Moyen Métrage de Brive. C’est là que j’ai découvert le cinéma français indépendant. Le stage m’a permis de bien connaître le paysage dans lequel les réalisateur·rices évoluent et de comprendre le poids du réseau dans ce milieu. J’ai appris avec le temps que les a priori dans la réception d’un film sont extrêmement puissants. Le cinéma français est un petit milieu, et il faut faire avec. Le talent et le travail restent sans conteste la clef mais il faut aussi savoir se vendre.
J’ai ensuite eu la chance de travailler avec Diane Baratier qui réalisait un documentaire (L’Avenir de la mémoire) autour du travail de son père, le cinéaste Jacques Baratier, après avoir longtemps été directrice de la photographie, en particulier sur les films d’Éric Rohmer. Diane possède une énergie et une détermination impressionnante. Durant les six mois qu’a duré le tournage, j’ai beaucoup appris sur le comportement à avoir pour réaliser un film. Il ne faut jamais penser quoi que ce soit comme acquis, toujours travailler pour obtenir le meilleur de soi, ne pas se reposer sur une structure qui vous soulage mais ne peut pas fournir le travail à votre place. L’énergie est essentielle, il faut toujours être motivé·e pour dix si l’on veut porter une équipe et un film sur ses épaules dans des conditions souvent précaires.
Cette précarité est une donnée que j’ai appris à accepter également. Il faut en être conscient·e avant de se lancer dans la réalisation. Ma nourriture étant le cinéma, il m’importe peu de bien manger mais la vie est chère et la précarité peut affecter le temps d’écriture d’un projet. Il faut sans cesse inventer de nouveaux moyens de financement pour trouver du temps et de l’énergie pour écrire.
Le dernier palier de mon parcours étudiant a été mon année au CREATACC, un diplôme universitaire mis en place par le GREC et l’IUT de Corse. C’est une formation aux allures de résidence qui se déroule dans les montagnes corses. Durant un an, des professionnel·les vous aident à structurer votre projet. C’est une formation très libre où il faut savoir ce que l’on veut pour en tirer le meilleur. À la fin de l’année, on soutient le diplôme avec le film réalisé et un projet de court métrage. J’y ai beaucoup appris sur la mise en scène, mais aussi sur l’écriture du scénario et le travail en équipe. Faire un film est un moment particulier de vie, où la fatigue émotionnelle peut être dure à gérer. Sortir de son écriture pour la confronter au réel et aux autres n’est pas chose aisée et il faut avoir fait un gros travail sur soi-même et sur son égo pour pouvoir prendre du recul avec le film et en faire un objet communiquant.
Je situerais mes études de cinéma à parts égales avec l’expérience personnelle dans l’apprentissage de la réalisation. Chaque rencontre compte et nourrit un parcours. Il faut être généreux·se et passionné·e pour s’ouvrir à la transmission des énergies et des histoires, et avoir des épaules musclées pour protéger et soutenir une création toujours fragile. La technique est importante mais doit être dépassée afin de servir la vision que l’on porte en nous.
(Témoignage publié dans le guide des formations 2016)